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" Je vous invite à la dissection du rêve
(...)
Et vous prophètes imposteurs
mahdis hypercachés
leaders charismatiques soulevant les marées humaines
par un simple cri tribal de ralliement
sortez vos têtes
montrez vos dents gâtées
celles en or
jetez bas vos voiles
déshabillez-vous
peut-être cesserons-nous de débattre mortellement
sur le sexe des anges
de leurs cousins et cousines et de tous les géants-nabots
qui parsèment le cycle infernalement chaotique
de notre histoire "
Abdellatif Laâbi. Discours sur la colline arabe. Œuvre poétique I
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" Je suis aussi insaisissable, moi qui vous parle. Ma voix est la seule chose matérielle en laquelle je peux encore me révéler. Aller donc couper la main ou les testicules d'une voix. "
Abdellatif Laâbi. Discours sur la colline arabe. Œuvre poétique I
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" Mais c'est vrai que si je suis ainsi, c'est parce que je suis le corps négatif de vos illustres méfaits. "
Abdellatif Laâbi. Discours sur la colline arabe. Œuvre poétique I
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" Vous ne torturez pas
vous arrachez l'âme avec ses racines
Certes vous ne mangez plus le foie des rebelles, renégats, dissidents, mais vous vous délectez des râles de vos moribonds. Cela accroît tellement votre légendaire virilité, lorsque vous rentrez le soir dans vos harems et que votre choix se fixe sur l'élue de la nuit, la belle soumise lavée de fond en comble, rasée-parfumée-parée, et sur la poitrine de laquelle vous planterez votre drapeau phallique, celle que vous empalerez à sec pour obtenir la même tonalité de la même désespérance du râle de vos rebelles-moribonds "
Abdellatif Laâbi. Discours sur la colline arabe. Œuvre poétique I
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" Mais Beyrouth
vous souviendra-t-il ?
Brinquebalante hémorragie du cancer tonique
rose de vitriol tatouée
sur le phallus princier
dégoulinant de naphte
moignons exorbités par fournées
dans Cadillacs noires rideaux baissés
chauffeurs en livrée livrant l'horrible ristourne
dans quelque ressac
où viendront s'abreuver les charognards
Et de rots en pets louange à Dieu
de pets en coïts de bedaines émirales
s'échappent en bulles sans commentaire
des palais tentes caïdales
dressées aux portes du désert clandestin
s'étale
sans foi ni loi
la chape blennorragique
de la nuit-des-coutelas-fraternels "
Abdellatif Laâbi. Discours sur la colline arabe. Œuvre poétique I
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" Je vous vois
tant il me coûte de vous voir
horde essaimant
légiférant cannibales
bourreaux déboussolés par la tâche colossale
dégoulinant de morbides orgasmes "
Abdellatif Laâbi. Discours sur la colline arabe. Œuvre poétique I
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" Par ici Messieurs. Donnez-vous la peine alléluia au retour du peuple prodige et prodigue. Faites comme chez vous. La terre appartient à celui qui la conquiert. Les hommes appartiennent à celui qui les châtre. "
Abdellatif Laâbi. Discours sur la colline arabe. Œuvre poétique I
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" Manquait plus que ça. Des arabes, et ça pense, ça écrit, ça se creuse les méninges. Fusées éclairantes : bombardements ! Ouf, faisons table rase. A leur place. Sinon, ils en seraient incapables. Il leur faudra commencer par le commencement. Apprendre à raisonner. Calculer. Lire, écrire, dans des manuels expurgés des mites de leur âge d'or, des tares d'éloquence et de leur rhétorique crasse "
Abdellatif Laâbi. Discours sur la colline arabe. Œuvre poétique I
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" Dors
dors mon petit Occident de pacotille
dors sur tes lauriers
trempés dans le sang amnésique
choisis tes oublis
tes chances
tes élixirs de jouvance
exulte dans les draps fleuris de ton immunité
éructe et fais bombance
bouffe
vomis
et rebouffe
garde tes larmes au compte-gouttes
sur nos famines gargantuesques "
Abdellatif Laâbi. Discours sur la colline arabe. Œuvre poétique I
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" Silence
l'abracadabrant silence
Enigme sans faille
sur la terre comme au ciel
du croissant stérile
Silence
silence lapidaire lapidant
orateurs félons
haut-parleurs cannibales saturés de naphte
rictus du silence espiègle
Silence consensus
pitance quotidienne de couardise
Silence fait de tous les silences consentis
matraque
courbettes
et allégeances "
Abdellatif Laâbi. Discours sur la colline arabe. Œuvre poétique I
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" Silence putride
infarctus de la parole
Silence patibulaire
décrété
légiférant
opium licite
Silence flic dans la tête
boulet
troisième œil espion
Silence prêt-à-porter
dans les cérémonies du silence assourdissant
Silence pur et dur
non équivoque
appel fraternel au suicide bienfaisant "
Abdellatif Laâbi. Discours sur la colline arabe. Œuvre poétique I
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" Silence poubelle
pour les serviettes hygiéniques
de l'hémorragique espérance
Silence strabisme à œillères
Silence coup de poingnard dans la poitrine
les yeux dans les yeux
pour en finir avec l'ère des fourberies de coulisses
Silence à couper au chalumeau
dans les coffres-forts où se tapit
la loi du silence
Silence litanie féroce
des larmes de sang
inondant le désert arabe "
Abdellatif Laâbi. Discours sur la colline arabe. Œuvre poétique I
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" Il te faudra apprendre
bien des métiers prosaïques
pour que ton cri
passe le mur du son
inflige des lézardes
à la jungle des monolithes
infectant cette terre nôtre
Te voilà
errant irrémédiable
ayant traqué jusque dans ton crâne
l'inquisiteur lové
hibernant
ayant laissé derrière toi
tout ce qui a nom
fonction
relent de pouvoir
ayant jeté sur tes épaules
le seul havresac de ta liberté "
Abdellatif Laâbi. Discours sur la colline arabe. Œuvre poétique I
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" Un homme est en prison
Il est noir
les yeux habités de braise et de futur
Il est grand
adossé au volcan rusé de l'histoire
L'arc-en-ciel pleut sur sa langue
y dépose le limon des paroles
qu'un peuple chante en dansant
sur les seuils des mouroirs
Il est trop grand pour sa cellule
quand il s'allonge
ses pieds sortent du judas
et vont folâtrer sur les murailles
Ses mains d'oiseau sans ailes
se tendent vers les étoiles
pour en recueillir le miel natif "
Abdellatif Laâbi. Soleils aux arrêts. Tous les déchirements. Œuvre poétique I
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" Un homme est en prison
Il n'a rien à ajouter
ayant dit l'essentiel
" Ce que tout cadavre devrait savoir "
ce que les vivants n'écoutent que d'une seule oreille
distraite, oh si distraite
comme ceci :
vivre, la belle affaire
encore faut-il que ça serve à quelque chose
ou ceci : " Si tu veux tracer ton sillon droit
accroche ta charrue aux étoiles "
ou encore ceci :
inutile de chercher loin les tyrans
ils sont sous votre peau
sans oublier ceci :
les hommes naissent esclaves et inégaux
toute la question est qu'ils ne le demeurent pas
Vous le voyez
cet homme n'a rien à ajouter "
Abdellatif Laâbi. Soleils aux arrêts. Tous les déchiremenrs. Œuvre poétique I
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" Un homme est en prison
Il n'attend pas
il n'a pas de temps à perdre
il se fait peintre et poète et musicien
il invite le papillon des mots
à la transe qui fait pousser des racines
Il réfute le sobriquet des couleurs
pour que le blanc de la toile
libère ses démons tapis
Il ravive le cri du silence
pour orchestrer la symphonie du don
Délivré du corps
il marche
il emprunte le chemin secret
qui va de la blessure à l'âme
de l'âme à la graine
de la graine à la tige
de la tige au bourgeon
du bourgeon à la fragile orchidée
de l'espoir
de l'espoir à la lucidité
de la lucidité aux larmes
des larmes à la fureur
de la fureur à l'amour
de l'amour à cette étrange folie
de croire malgré tout aux hommes "
Abdellatif Laâbi. Soleils aux arrêts. Tous les déchiremenrs. Œuvre poétique I
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