jeudi 25 août 2011

Monde arabe : aux origines de la contestation

Auteurs : Justine Canonne et Marie Deshayes

Systèmes politiques verrouillés, économies fragiles et inégalitaires, démographies galopantes, tensions intercommunautaires... Le point sur le contexte dans lequel ont émergé les révolutions arabes en 2011.

 

Il est impossible de comprendre les révolutions arabes sans considérer l’arrière-fond : la situation de blocage politique de la région. « Ce sont des régimes sclérosés, sans État de Droit, avec une justice aux ordres que l’on a vu tomber au début de l’année en Tunisie et en Égypte », observe Olivier San Martin, enseignant-chercheur en géopolitique à l’Université de Tours. Ces systèmes politiques verrouillés ont longtemps été tolérés, voire encouragés par les Occidentaux, qui considéraient les maîtres de ces États autoritaires comme des remparts contre l’islamisme.

Des logiques de rente

Ce blocage politique engendre un système verrouillé économiquement. « En Tunisie et l’Égypte perdurent des logiques de rente, fondées sur l’accaparement des ressources par les grandes familles, les élites, explique le chercheur. Si la libéralisation économique a stimulé en partie la croissance grâce au tourisme, elle a aussi creusé les inégalités, alimenté la corruption, l’affairisme dans ces deux États ».

Cette logique de rente peut prendre d’autres formes : les régimes algérien et libyen peuvent résister aux contestations notamment grâce à la rente pétrolière. Cette manne financière assure aux dirigeants suffisamment de dividendes pour ne pas avoir à ouvrir leur pays à l’extérieur : la communauté internationale dispose ainsi de peu de prise sur les décisions politiques de ces chefs d’État.

Le poids de la démographie

Les jeunes ont été désignés comme les principaux protagonistes de ces révoltes. Ils forment en effet la classe d’âge numériquement la plus importante dans ces sociétés : « Ces pays sont dans une phase d’aubaine démographique », observe Olivier San Martin. Environ un cinquième de la population a entre 15 et 24 ans, ce qui pourrait constituer un moteur pour la croissance économique. « Or, dans la région, cette aubaine demeure virtuelle », poursuit le chercheur. Les jeunes diplômés sans perspective d’avenir, dans des économies incapables de fournir assez d’emplois pour les intégrer, sont donc à l’avant-garde des contestations. Pour autant, selon Olivier San Martin, il ne s’agit pas d’un mouvement spontané : « En Égypte, c’est le mouvement du 6 avril 2008 (année des grèves dans les usines textiles du Delta du Nil), qui est à l’origine de la manifestation du 25 janvier 2011 marquant le début de la révolution. »

La contestation actuelle s’appuie donc sur des mouvements qui ont commencé à se structurer dans les années 2000, par exemple avec le mouvement Kefaya (« ça suffit ») de 2004 en Egypte… Ce ne sont pas dans les partis politiques traditionnels que les jeunes se sont organisés, mais à travers le milieu associatif (associations de défense des droits de l’homme, etc.) et le web (réseaux sociaux, blogosphère).

L’issue de ces révolutions n’est pas encore certaine. Pour Laurent Bonnefoy, chercheur à l’Institut français du Proche-Orient, « l’histoire des révolutions du printemps arabe ne s’écrit pas en quelques mois. Nous avons affaire à des temporalités longues. Rien n’est écrit. »


Chronologies par pays


TUNISIE

17 décembre 2010 : Mohammed Bouazizi, un jeune vendeur ambulant, s'immole à Sidi Bouzid pour protester contre la saisie de sa marchandise par la police. Début d'une vague de contestation.

11 janvier 2011 : Les affrontements gagnent Tunis.

14 janvier : Fuite du président Ben Ali, au pouvoir depuis 1987, vers l’Arabie Saoudite.

17 janvier : Nouveau gouvernement d'union nationale, dans lequel l’équipe sortante conserve des postes clés.

24 janvier: L’armée se porte « garante de la révolution ». Les manifestants exigent la démission du gouvernement.

26 janvier : Mandat d’arrêt international contre Ben Ali et son épouse.

7 mars : Nouveau gouvernement provisoire sans aucun ancien ministre de Ben Ali.

ÉGYPTE

25 janvier 2011 : Première manifestation sur la Place Tahrir au Caire. Début de plusieurs semaines de mobilisations des Égyptiens en vue de la chute du régime.

11 février : Le président Hosni Moubarak, au pouvoir depuis 1981, quitte le pouvoir.

19 mars : Référendum sur la constitution égyptienne, avec 77% des voix en faveur des amendements proposés (limitation du nombre et de la durée du mandat présidentiel, assouplissement des conditions de candidatures électorales).

3 août : Ouverture du procès de Hosni Moubarak, rapidement ajourné et reporté au 15 août. L’ancien président égyptien est accusé du meurtre de plus de 800 manifestants et de détournement de fonds publics.

15 août : Nouvelle audience du procès Moubarak, ajourné puis reporté au 5 septembre prochain.

SYRIE

15 mars 2011 : Rassemblement à Damas après un appel lancé sur Facebook.

21 avril : Levée de l’état d’urgence. Plus de 80 manifestants tués le lendemain.

25 avril : L’armée entre à Deraa. Au moins 25 personnes sont tuées.

13 juin : Alep, deuxième ville du pays, est gagnée par la contestation.

8 juillet : Les ambassadeurs français et américain se rendent à Hama pour manifester leur soutien aux manifestants.

31 juillet : L’armée syrienne entre dans Hama. En quelques jours, le bilan est d'au moins 90 morts, selon des organisations de défense des droits de l'homme.

3 août : Le Conseil de sécurité de l’ONU condamne « les violations généralisées des droits de l’homme ».

14 août : L'armée syrienne a lancé une opération navale sans précédent à Lattaquié, au nord-ouest du pays, faisant une trentaine de morts.

24 août : L'ONU vote une résolution demandant l'ouverture d'une commission d'enquête internationale sur la violation des droits de l'homme.

ALGÉRIE

Début janvier 2011 : 5 jours d'émeutes contre la vie chère et le chômage font 5 morts et plus de 800 blessés.

Du 14 au 30 janvier : 2 décès par immolation et 7 tentatives.

19 février : Marche organisée par la Coordination nationale pour le changement et la démocratie (CNCD) interdite. Elle se transforme en rassemblement.

24 février : Levée de l’état d’urgence en vigueur depuis 1993.

7 mars : Des gardes communaux, chargés de suppléer la gendarmerie, se rassemblent pour réclamer de meilleures conditions de travail.

15 avril : Le président Abdelaziz Bouteklika, au pouvoir depuis 1999, commande la tenue de consultations en vue de réformes politiques. Ces consultations débutent le 21 mai sans la participation de plusieurs partis d’opposition.

LIBYE

15 février : Des émeutes éclatent à Benghazi.

17 février : Manifestations de la « Journée de la colère » réclamant le départ du colonel Kadhafi, au pouvoir depuis 1969. Elles se heurtent à une violente répression policière.

26 février : Résolution de l'ONU imposant un embargo sur les armes, une interdiction de voyager et un gel des avoirs du clan Kadhafi, et demandant la saisine de la Cour pénale internationale pour « crimes contre l'humanité ».

27 février : Les opposants forment un Conseil national de la transition à Benghazi.

2 mars : Début de la contre-offensive des forces de Kadhafi dans l'est du pays.

17 mars : Résolution 1973 de l'ONU qui autorise le recours à la force pour protéger les populations civiles et crée une zone d'exclusion aérienne.

19 mars : Début des frappes aériennes de la coalition contre les forces de Kadhafi.

27 mars : L'OTAN prend officiellement le commandement des opérations militaires menées dans le pays.

27 juin : La Cour pénale internationale délivre des mandats d'arrêt pour crimes contre l'humanité à l'encontre de Mouammar Kaddafi, de son fils Seif el-Islam Kaddafi et du chef des services de renseignements Abdullah al-Senoussi.

15 août : Les rebelles affirment être entrés dans une « phase décisive », et contrôler la « majeure partie » de Zaouiah, à une quarantaine de kilomètres à l'ouest de la capitale libyenne, ainsi que les villes de Gariane et Sourmane.

21 août : Les rebelles entrent dans la capitale, Tripoli. Lundi 22, ils encerclent la résidence de Kadhafi. Le Conseil national de transition a fait prisonnier le fils de Mouammar Kadhafi, Saïf Al-Islam.

23 août : Le quartier général de Kadhafi tombe aux mains des rebelles. Kadhafi affirme dans un message audio l’avoir quitté pour des « raisons tactiques ».

MAROC

20 février 2011 : Manifestations de milliers de Marocains dans plusieurs villes du pays, dont Rabat, Casablanca, Marrakech… Ils réclament un gouvernement aux pouvoirs élargis et des réformes politiques.

9 mars : Le roi Mohammed VI annonce une réforme constitutionnelle. Le « mouvement du 20 février » poursuit ses manifestations les semaines suivantes, réclamant plus d’égalité, de justice sociale et une lutte efficace contre la corruption.

17 juin : Le roi Mohammed VI présente le projet de réforme constitutionnelle. Les militants du « mouvement du 20 février » se disent insatisfaits de ce projet et demandent des réformes politiques plus profondes : recul plus net des prérogatives royales, séparation des pouvoirs plus marquée…

1er juillet : Référendum portant sur la nouvelle constitution marocaine, avec plus de 98% des voix en faveur de celle-ci.

3 juillet : Nouvelle vague de manifestations dans plusieurs villes du pays, à l’appel du Mouvement du 20 février, qui exige davantage de réformes politiques, à la suite du référendum constitutionnel.

16 août : Le ministre de l’Intérieur Taïeb Cherkaoui annonce la tenue d’élections législatives anticipées le 25 novembre prochain.

YÉMEN

27 janvier 2011 : Premières mobilisations dans la capitale yéménite, Sanaa. Les manifestants réclament le départ du président yéménite Ali Abdallah Saleh, au pouvoir depuis 1978.

5 mars : Le président Saleh refuse de quitter son poste d’ici la fin de l’année, comme le souhaite l’opposition. Il affirme qu’il restera au pouvoir jusqu’en 2013, terme de son mandat.

18 mars : Plusieurs dizaines de personnes sont tuées lors de mobilisations contre le pouvoir.

30 avril : Le président Saleh refuse de signer un plan de sortie proposé par les monarchies du Golfe prévoyant sa démission, alors qu’il avait donné son accord de principe quelques jours plus tôt.

3 juin : Le président Saleh est blessé dans un tir d’obus à Sanaa. Il est transporté en Arabie Saoudite pour y être soigné.

7 juillet : Première apparition télévisée du président Saleh depuis son hospitalisation en Arabie Saoudite. Il n’évoque ni sa démission ni un éventuel retour au Yémen.

16 juillet : L’opposition annonce la création d’un conseil transitoire présidentiel.

16 août : Le président Saleh annonce son retour prochain au Yémen.

BAHREÏN

14 février 2011 : Des milliers de manifestants se rassemblent sur la place de la Perle dans la capitale du Bahreïn, Manama, pour réclamer des changements politiques et sociaux. Les forces de sécurité répriment ces mobilisations.

14 mars : Des soldats saoudiens de la force commune du Conseil de Coopération du Golfe (CCG) entrent au Bahreïn. L’opposition bahreïnienne dénonce une « occupation étrangère ».

15 mars : Le roi du Bahreïn décrète l’état d’urgence pour trois mois dans un contexte de manifestations anti-gouvernementales.

8 mai : Ouverture d’un procès d’exception pour plusieurs militants d’opposition.

1er juin : Levée de l’état d’urgence. Annonce d’un « dialogue national » et instauration d’une commission indépendante pour enquêter sur les abus commis durant la répression du soulèvement.

2 juillet : Ouverture officielle du « dialogue national » au Bahreïn. Malgré ses réticences, le groupe d’opposition El Wefaq accepte de participer à ces discussions destinées à relancer le processus de réforme politique.

7 août : Libération de deux anciens députés chiites du parti d’opposition El Wefaq. Devant être initialement jugés par un tribunal d’exception, ils seront finalement jugés par une cour civile.

Source : http://www.scienceshumaines.com/index.php?lg=fr&id_dossier_web=72&id_...

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