lundi 24 septembre 2012

Abdellatif Laâbi. Poésies. Extraits. III

" Je vous invite à la dissection du rêve

(...)

Et vous prophètes imposteurs

mahdis hypercachés

leaders charismatiques soulevant les marées humaines

par un simple cri tribal de ralliement

sortez vos têtes

montrez vos dents gâtées

celles en or

jetez bas vos voiles

déshabillez-vous

peut-être cesserons-nous de débattre mortellement

sur le sexe des anges

de leurs cousins et cousines et de tous les géants-nabots

qui parsèment le cycle infernalement chaotique

de notre histoire "

Abdellatif Laâbi. Discours sur la colline arabe. Œuvre poétique I

 

" Je suis aussi insaisissable, moi qui vous parle. Ma voix est la seule chose matérielle en laquelle je peux encore me révéler. Aller donc couper la main ou les testicules d'une voix. "

Abdellatif Laâbi. Discours sur la colline arabe. Œuvre poétique I

 

" Mais c'est vrai que si je suis ainsi, c'est parce que je suis le corps négatif de vos illustres méfaits. "

Abdellatif Laâbi. Discours sur la colline arabe. Œuvre poétique I

 

" Vous ne torturez pas

vous arrachez l'âme avec ses racines

Certes vous ne mangez plus le foie des rebelles, renégats, dissidents, mais vous vous délectez des râles de vos moribonds. Cela accroît tellement votre légendaire virilité, lorsque vous rentrez le soir dans vos harems et que votre choix se fixe sur l'élue de la nuit, la belle soumise lavée de fond en comble, rasée-parfumée-parée, et sur la poitrine de laquelle vous planterez votre drapeau phallique, celle que vous empalerez à sec pour obtenir la même tonalité de la même désespérance du râle de vos rebelles-moribonds "

Abdellatif Laâbi. Discours sur la colline arabe. Œuvre poétique I

 

" Mais Beyrouth

vous souviendra-t-il ?

Brinquebalante hémorragie du cancer tonique

rose de vitriol tatouée

sur le phallus princier

dégoulinant de naphte

moignons exorbités par fournées

dans Cadillacs noires rideaux baissés

chauffeurs en livrée livrant l'horrible ristourne

dans quelque ressac

où viendront s'abreuver les charognards

Et de rots en pets louange à Dieu

de pets en coïts de bedaines émirales

s'échappent en bulles sans commentaire

des palais tentes caïdales

dressées aux portes du désert clandestin

s'étale

sans foi ni loi

la chape blennorragique

de la nuit-des-coutelas-fraternels "

Abdellatif Laâbi. Discours sur la colline arabe. Œuvre poétique I

 

" Je vous vois

tant il me coûte de vous voir

horde essaimant

légiférant cannibales

bourreaux déboussolés par la tâche colossale

dégoulinant de morbides orgasmes "

Abdellatif Laâbi. Discours sur la colline arabe. Œuvre poétique I

 

" Par ici Messieurs. Donnez-vous la peine alléluia au retour du peuple prodige et prodigue. Faites comme chez vous. La terre appartient à celui qui la conquiert. Les hommes appartiennent à celui qui les châtre. "

Abdellatif Laâbi. Discours sur la colline arabe. Œuvre poétique I

 

" Manquait plus que ça. Des arabes, et ça pense, ça écrit, ça se creuse les méninges. Fusées éclairantes : bombardements ! Ouf, faisons table rase. A leur place. Sinon, ils en seraient incapables. Il leur faudra commencer par le commencement. Apprendre à raisonner. Calculer. Lire, écrire, dans des manuels expurgés des mites de leur âge d'or, des tares d'éloquence et de leur rhétorique crasse "

Abdellatif Laâbi. Discours sur la colline arabe. Œuvre poétique I

 

" Dors

dors mon petit Occident de pacotille

dors sur tes lauriers

trempés dans le sang amnésique

choisis tes oublis

tes chances

tes élixirs de jouvance

exulte dans les draps fleuris de ton immunité

éructe et fais bombance

bouffe

vomis

et rebouffe

garde tes larmes au compte-gouttes

sur nos famines gargantuesques "

Abdellatif Laâbi. Discours sur la colline arabe. Œuvre poétique I

 

" Silence

l'abracadabrant silence

Enigme sans faille

sur la terre comme au ciel

du croissant stérile

Silence

silence lapidaire lapidant

orateurs félons

haut-parleurs cannibales saturés de naphte

rictus du silence espiègle

Silence consensus

pitance quotidienne de couardise

Silence fait de tous les silences consentis

matraque

courbettes

et allégeances "

Abdellatif Laâbi. Discours sur la colline arabe. Œuvre poétique I

 

" Silence putride

infarctus de la parole

Silence patibulaire

décrété

légiférant

opium licite

Silence flic dans la tête

boulet

troisième œil espion

Silence prêt-à-porter

dans les cérémonies du silence assourdissant

Silence pur et dur

non équivoque

appel fraternel au suicide bienfaisant "

Abdellatif Laâbi. Discours sur la colline arabe. Œuvre poétique I

 

" Silence poubelle

pour les serviettes hygiéniques

de l'hémorragique espérance

Silence strabisme à œillères

Silence coup de poingnard dans la poitrine

les yeux dans les yeux

pour en finir avec l'ère des fourberies de coulisses

Silence à couper au chalumeau

dans les coffres-forts où se tapit

la loi du silence

Silence litanie féroce

des larmes de sang

inondant le désert arabe "

Abdellatif Laâbi. Discours sur la colline arabe. Œuvre poétique I

 

" Il te faudra apprendre

bien des métiers prosaïques

pour que ton cri

passe le mur du son

inflige des lézardes

à la jungle des monolithes

infectant cette terre nôtre

Te voilà

errant irrémédiable

ayant traqué jusque dans ton crâne

l'inquisiteur lové

hibernant

ayant laissé derrière toi

tout ce qui a nom

fonction

relent de pouvoir

ayant jeté sur tes épaules

le seul havresac de ta liberté "

Abdellatif Laâbi. Discours sur la colline arabe. Œuvre poétique I

 

" Un homme est en prison

Il est noir

les yeux habités de braise et de futur

Il est grand

adossé au volcan rusé de l'histoire

L'arc-en-ciel pleut sur sa langue

y dépose le limon des paroles

qu'un peuple chante en dansant

sur les seuils des mouroirs

Il est trop grand pour sa cellule

quand il s'allonge

ses pieds sortent du judas

et vont folâtrer sur les murailles

Ses mains d'oiseau sans ailes

se tendent vers les étoiles

pour en recueillir le miel natif "

Abdellatif Laâbi. Soleils aux arrêts. Tous les déchirements. Œuvre poétique I

 

" Un homme est en prison

Il n'a rien à ajouter

ayant dit l'essentiel

" Ce que tout cadavre devrait savoir "

ce que les vivants n'écoutent que d'une seule oreille

distraite, oh si distraite

comme ceci :

vivre, la belle affaire

encore faut-il que ça serve à quelque chose

ou ceci : " Si tu veux tracer ton sillon droit

accroche ta charrue aux étoiles "

ou encore ceci :

inutile de chercher loin les tyrans

ils sont sous votre peau

sans oublier ceci :

les hommes naissent esclaves et inégaux

toute la question est qu'ils ne le demeurent pas

Vous le voyez

cet homme n'a rien à ajouter "

Abdellatif Laâbi. Soleils aux arrêts. Tous les déchiremenrs. Œuvre poétique I

 

" Un homme est en prison

Il n'attend pas

il n'a pas de temps à perdre

il se fait peintre et poète et musicien

il invite le papillon des mots

à la transe qui fait pousser des racines

Il réfute le sobriquet des couleurs

pour que le blanc de la toile

libère ses démons tapis

Il ravive le cri du silence

pour orchestrer la symphonie du don

Délivré du corps

il marche

il emprunte le chemin secret

qui va de la blessure à l'âme

de l'âme à la graine

de la graine à la tige

de la tige au bourgeon

du bourgeon à la fragile orchidée

de l'espoir

de l'espoir à la lucidité

de la lucidité aux larmes

des larmes à la fureur

de la fureur à l'amour

de l'amour à cette étrange folie

de croire malgré tout aux hommes "

Abdellatif Laâbi. Soleils aux arrêts. Tous les déchiremenrs. Œuvre poétique I

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