dimanche 30 septembre 2012

K. comme carpe diem

Elle vivait dans la campagne, ce n’était pas le désert, mais la nature était peu clémente, l’eau rare, beaucoup de poussière et du cactus partout ; les récoltes seules ne pouvaient contenter les hommes et leurs bêtes et il fallait se lever très tôt pour que la peine suffise à son jour.

K. était " forte et fière ", une beauté sauvage et naïve, de la rondeur grasse, géante. A la quarantaine de sa vie, elle a eu deux enfants d’un premier mari, et trois de son second. Celui-ci prenait chaque jour des bus pour aller mendier soit dans la ville, soit dans des villages d’alentour, qui portent toujours le nom du jour où se tenaient leurs marchés hebdomadaires. Il avait un pied-bot, et il en a fait un métier ! Le mendiant, plus il étalait sa déchéance et plus il espérait récolter plus de sous. Le mari de K. avait un autre attribut, une aubaine pour son gagne-pain : il avait une mâchoire inférieure qui ne pouvait se refermer sur la supérieure, en décalage toujours vers la gauche, de la salive qui pendait et une difficulté énorme pour articuler et se faire entendre. Avec ses doigts crochus, c’était la preuve que ce monsieur a dû un jour donner un coup à un chat la nuit, l’esprit des chats ne prenait sa revanche que s’il a été battu la nuit, si c’est pas un chat, il a sûrement versé de l’eau chaude, une nuit, dans la fausse sceptique, ou encore, il a enjambé une flaque de sang, même quelques gouttes ! C’est vrai qu’on pouvait rien faire contre la vengeance noire et terrible des esprits. C’est vrai aussi qu’avec des béquilles de pacotilles, monter et descendre des bus faisait toujours arracher à quelques  uns, un « que dieu nous en préserve ! » et deux ou trois sous.

Il hébergeait depuis toujours dans sa masure, un « collègue » très vieux, aveugle, toujours en haillons très sales. Le soir quand ils rentraient tous les deux, ils se mettaient à compter leurs pièces jaunes. Les pièces blanches étaient rares, mais parfois ils avaient droit à des sous d’Espagne ou de France, à de la monnaie ancienne qui ne circulait plus et qui ferait la joie des collectionneurs mais ne pouvait assurer la ration de thé, de sucre et de pain quotidiens.

Une fois les pièces amassées selon leur valeur : 5 centimes, 10 centimes, 20 centimes, dans la pénombre qu’une frêle bougie dissipe tant bien que mal, le mari prenait sa bouteille d’eau-de-vie faite à la maison du « guerrab » du « douar » et fumait son kif avec son sebsi de toujours.

Le « collègue » lui, vieux aveugle très sale, se recroquevillait dans un coin, se lamentait un peu sur sa santé et puis en lubrifiant sa main avec de la salive, la faisait entrer par la poche de sa djellaba, et se masturbait longtemps et bruyamment, en poussant des soupirs enflammés et en évoquant à voix parfois très haute des noms de femmes, dont celle de son bienfaiteur hôte, lui qui n’avait  plus ni maison ni famille.

Chaque jour le même spectacle ! K. avec l’argent mendié, se rendait au marché du village, à quelques lieues de leur masure, les petits garçons bergers qu’elle rencontrait sur son chemin, lui criaient de loin : « l’infirmière ! l’infirmière ! », à cause d’une chanson qui était un succès, et parce que, des hommes lui rendaient visite pour soigner une envie trop pressante de la fesse énorme !

Dès leur jeune âges, ses quatre filles les a mises chez des familles de la ville comme des bonnes à tout faire, et le garçon chez un tôlier comme apprenti bon à tout faire lui aussi ! Cela permettait d’acheter de la viande le jour du marché !

Le garçon habitait chez une famille qui a des racines dans le douar ! K. venait lui rendre visite chaque mois, en apportant avec elle un peu de substances : thé, sucres, œufs, … Ils couchaient ensemble dans la même chambre : elle, son fils, un enfant de douze ans et sa mère ! Cet enfant venait d’avoir ses premières pollutions nocturnes, il ne pouvait plus se la tenir sans frémir !! Qu’elle était grande sa stupeur quand cette nuit-là, K. qui n’était pas très loin de lui, venait de son pied, lui masser doucement et vigoureusement le bas-ventre ! Tout son corps tendu, les sens aiguisés, l’ouïe a su percer les ténèbres de la chambre !

Elle l’a attiré vers elle, lui a ouvert ses jambes et l’a laissé découvrir pour la première fois de sa vie à quoi pouvait ressembler la succulente moiteur chaleureuse d’une paysanne ! Dans le silence le plus total possible !

Avant de mourir, elle a eu l’élégance de déniaiser un pubère ! Simple caprice ? Affirmation du désir face à la contingence ? Transgression ? Revanche ?

Don d’amour dont le fleuve n’était pas encore tari et qui aimerait bien rejoindre sa source.

 

Faysal BADRI

25 – 09 - 2012

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