mardi 25 septembre 2012

Abdellatif Laâbi. Poésies. Extraits. VI

" un amour en cache un autre

une colère en cache une autre

un homme en cache un autre

De voix en voix

de miroir en miroir

la fringale de vérité

qui me tordra

jusqu'au face-à-face ultime

avec mon lot de vie

et son pendant de mort "

Abdellatif Laâbi. Pâturage du silence. Discours sur la colline arabe. Œuvre poétique I

 

" outre-outre-mers

ne m'oublie pas frère

Ah ma mère

mon fils

et toi ma sœur, mon amante captive

le bateau m'emporte

Me voilà dans le ventre de la baleine

des temps maudits

Je n'ai plus de voix

plus d'ombre

plus de traits

Au-dessus des ténèbres

se lève la lune acide de l'exil "

Abdellatif Laâbi. La ballade de l'émigré. Discours sur la colline arabe. Œuvre poétique I

 

" Il se surpend à dire :

Mon pays, ce n'est pas une terre ingrate

qu'on transporte à la semelle de ses souliers

Ce n'est pas ce soleil de plomb

indifférent aux râles des emmurés

Ce n'est pas la main de mon père

me prodiguant la bénédiction

Ce n'est pas la tombe de ma mère

conduisant mes pas d'aveugle

au trésor du plus haut silence

Ce n'est pas cette foule

changeant d'allégeance

à la moindre démonstration de force

au moindre feu d'artifice

de la ficelle hideuse d'atavismes

Mon pays est là où la liberté

n'a qu'un seul sens

fer rouge de l'indomptable dignité "

Abdellatif Laâbi. L'écorché vif. Œuvre poétique I

 

" Comme les énigmes de l'inquisiteur sont aisées !

Comparons, dit-il, avec celles

que je n'ose parfois me poser à moi-même :

Par quelle tribu occulte es-tu gangrené ?

Es-tu indemne de tout pouvoir ?

As-tu cassé tous les miroirs ?

De quelles infirmités tires-tu ta force ?

Quels sont les tabous de ta droiture ?

Pourquoi ne reconnais-tu que du bout des lèvres l'ampleur de tes ignorances ?

Ne t'arrive-t-il pas de te contenter de l'à-peu-près de ce que tu aurais vraiment voulu dire ? D'être irrité par tes plus justes passions ? De maudire tes superbes raisons de vivre ?

Ne joues-tu pas un peu au martyr ?

Ne caches-tu pas ta paresse derrière le tourbillon de tes réalisations ?

Que trahis-tu chaque fois que tu te remets en cause ?

Es-tu comblé par le seul amour qu'on te connaisse ?

Jusqu'où peux-tu aller dans la vérité sur toi-même ? "

Abdellatif Laâbi. L'écorché vif. Œuvre poétique I

 

" Ils étaient partis pour abolir le centre

pour semer des carrefours

en toute terre, mer, en tout ciel d'ici-bas

pour fonder de nouvelles généalogies

d'homme sentant sans parler

de femmes reprenant le feu

des mains de la gabegie virile

d'enfants parlant au nom de tous

l'idiome transparent

de l'insoutenable douceur "

Abdellatif Laâbi. L'écorché vif. Œuvre poétique I

 

" A qui veut bien l'entendre

en bien ou en mal

je dis enfin

ce pays en vrac

veuf-orphelin exsangue

ce pays mosaïque de la soif

ce pays dos-rond

ce pays chacal

ce pays d'aveugles-rois en sébiles jaculatoires "

Abdellatif Laâbi. Sismiques. L'écorché vif. Œuvre poétique I

 

" ce pays de cafés-urinoirs-prisons

ce pays sismique au carrefour des mitrailles

ce pays tacite

scorpion vidé de son dard

ce pays de tentes en béton

pour ruffians tombés de la dernière pluie

ce pays à crinière de planche mortuaire

ce pays cahin-caha

se délectant de rumeurs

ce pays talisman illisible

pavé dans la mare "

Abdellatif Laâbi. Sismiques. L'écorché vif. Œuvre poétique I

 

" ce pays de troc silencieux

petites filles, sueurs, âmes, muscles de fer

ce pays qui n'en peut plus de ses chancres

et qui gavent ses chancres

ce pays faucon borgne

inexorable

ce pays coulissant au-delà du désastre

ce pays rictus

de main rituelle

faisant la pluie, les sautrelles

jamais le beau temps "

Abdellatif Laâbi. Sismiques. L'écorché vif. Œuvre poétique I

 

" ce pays traquenard millimétré

ce pain où le pain tue

ce pays contrasté jusqu'à la lie

ce pays de tribuns minables

vaccinés contre la vie

la salutaire erreur

la démangeaison du génie

ce pays de légendes déflorées

minotaure hébété

par l'incroyable mais vrai des discours "

Abdellatif Laâbi. Sismiques. L'écorché vif. Œuvre poétique I

 

" ce pays frivole

fidèle à sa honte

ce pays qui rit et chante et vivats

juste après avoir enterré ses morts

ce pays qui chavire

tant il s'ignore

ce pays mâle

désespérément mâle

ce pays extrémiste "

Abdellatif Laâbi. Sismiques. L'écorché vif. Œuvre poétique I

 

 

" ce pays qui exile

et s'encombre

ce pays qui parfois se souvient

ce pays consensus

qu'on voudrait voix de son maître

ce pays menacé de famine intellectuelle

ce pays roc perfide

à double tranchant

ce pays soudain

amer

emportant la bouche

ce pays interminable "

Abdellatif Laâbi. Sismiques. L'écorché vif. Œuvre poétique I

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